lundi 23 août 2010

Balourdises


[5 janvier 1902] 
Chacun a sa façon de se blouser. L’important, c’est de croire à son importance.
 Devant Henri Albert, Léon Blum, Charles Chanvin, Marcel Drouin (que j’avais réuni à déjeuner), par vanité j’ai lâché quelques balourdises. Il n’est rien qui m’humilie plus, que je me reproche davantage, et que je recommence mieux. Je ne vaux que dans la solitude. En société, ce n’est pas autrui qui me fatigue et qui m’irrite ; c’est moi-même. 
[...] Iehl, ce même soir, nous raconte ce que m’avait déjà raconté Chanvin : l’occupation des soirs d’hiver, à la caserne. Les soldats, réunis autour du poêle de la chambrée, se branlant en chœur ; et, quand du sperme ayant giclé, grésillait sur la plaque rouge, cela s’appelait : «frigoler un gosse».
«Encore un qui ne dira pas “Merde” à son père», disait G. en s’essuyant les cuisses. 

[24 janvier 1902]

 
La tendresse de Paul Valéry ; elle est enfantine et charmante. Nul ne comprend si joliment l’amitié, ni n’a tant de délicatesse. J’ai pour lui l’affection la plus vive ; il faut tout ce qu’il dit pour la diminuer. C’est un de mes meilleurs amis ; s’il était sourd et muet, je n’en voudrais pas de meilleur. 

[avril 1903]

 
Ces lettres à écrire m’exténuent, m’excèdent ; elles ne me laisseront pas travailler... Il n’y a pas là amitié qui tienne ; j’enverrais la meilleure au diable... Mais je ne le fais pas. Je finis toujours par écrire ; pour avoir la paix, la paix avec moi-même ; car tant que je n’ai pas écrit, je me reproche de ne pas écrire. L’ennui c’est que, quand on écrit tout de suite, l’autre répond ; et que, tant qu’il n’a pas répondu, j’attends sa lettre.


André Gide, Journal



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