vendredi 24 août 2012
Réflexions décousues sur les coups de sept heures du soir
Je prenais le frais au bar du coin de la rue, plongé dans le deuxième volume du journal des Goncourt — je devrais plutôt dire du Goncourt, car depuis déjà près de deux cents pages le pauvre Jules est mort. Je me trouvais donc simultanément dans la moiteur d’un 23 août 2012 finissant et les premiers jours du printemps 1871, le fracas intermittent du tramway derrière moi et le bruit de la canonnade des Versaillais contre les Communards (Edmond dit Communeux, du haut de tout son mépris de classe) ; et c’est alors qu’une énième réflexion antisémite du dernier des Goncourt (comme disait Léon Bloy) déambulant sur les boulevards, oh, rien de bien méchant, en l’occurrence
Quelques groupes autour de petites tables de jeux, tenues par des figures qu’on sent juives
m’en fit faire une, de réflexion, à propos de mon indulgence devant de tels propos, compte tenu de l’époque, du milieu, patin, couffin — et sur le fait que les trois quarts de ce que note l’inconsolable Edmond tomberaient aujourd’hui sous le coup de la loi, à tout le moins susciteraient une violente réprobation si, par exemple, il tenait un blog ; car il est non seulement antisémite mais aussi misogyne, antidémocrate et j’en passe, une horreur. Bon. Je me disais ça, et j’étais au fond assez fier d’avoir assez de recul pour passer outre et me régaler du reste, quand ma voisine de table, une bonne femme en robe à fleurs qui comme moi sirotait seule un demi tout en grignotant des bretzels, s’exclama :
— Incroyable, c’est incroyable, ah elles ne se gênent pas, mais où va-t-on, etc.
Je levai brièvement la tête. Deux jeunes et jolies femmes arabes passaient, légèrement voilées de blanc (c’était ma foi assez seyant). Ma voisine continuait de ronchonner, et son indignation était nettement dirigée vers moi ; elle me prenait à témoin et espérait que j’abondasse. Et mon premier mouvement, la première chose que j’eus envie de faire sur le moment, fut de lui répliquer quelque chose comme « Ta gueule, connasse », ce que ma bonne éducation bien entendu m’interdisait. Ainsi, me dis-je, je passais son racisme à Edmond au nom de la relativité et de la littérature, et j’avais — très fugitivement, je suis un non-violent — le désir d’éclater la tête de ma voisine sur le trottoir (en premier lieu, pour être honnête, parce qu’elle dérangeait ma lecture, les gens sont d’une impolitesse). Et cela me laissa tristement rêveur. Puis je commandai une autre bière et je me remis à lire :
Je ne vois autour de moi que des biches, écrivait Edmond, qui fuient épouvantées, ou des buffles, écoutant, dans leur immobilité étonnée, cet orage et ce tonnerre, qui durent toujours, toujours, toujours.
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