mardi 25 novembre 2008
Où cendre il y a
Dans l’esquisse en prose qu’il a consacrée à Brentano, Walser se demande : “Comment un homme qui ressent autant de belles choses peut-il être en même temps aussi peu sentimental ?” La réponse aurait été qu’il existe dans la vie comme dans les contes des êtres que l’excès de pauvreté et d’angoisse empêche d’avoir des sentiments, et qui pour cette raison, comme Walser dans une de ses proses les plus tristes, sont contraints d’éprouver leur maigre aptitude à l’amour sur des substances ou des objets inanimés auxquels nul autre ne prête attention, la cendre, une plume, un crayon et une allumette. Mais la manière dont Walser leur insuffle une âme dans un acte de totales indentification et empathie révèle que finalement les sentiments les plus profonds se trouvent peut-être là où ils s’appliquent aux choses les plus insignifiantes.
“De fait, écrit Walser à propos de la cendre, on ne peut faire sur cet objet apparemment si peu intéressant des remarques pas inintéressantes du tout que si l’on s’y plonge, pour ainsi dire, intensément, en constatant par exemple que si on souffle dessus, il n’est pas anodin qu’elle refuse de se disperser tout de suite. La cendre est le parfait symbole de l’humilité, de l’insignifiance et de l’inutilité, et ce qu’il y a de plus beau : elle est elle-même persuadée qu’elle n’est bonne à rien. Peut-on être plus inconsistant, plus faible, plus misérable que la cendre ? C’est sans doute difficile. Y a-t-il chose plus patiente et plus accommodante qu’elle ? On cherchera longtemps. La cendre ne connaît pas de caractère et elle est bien plus éloignée de toute essence de bois que ne l’est l’abattement de l’exaltation. Où cendre il y a, il n’y a, à vrai dire, rien du tout. Mets ton pied sur de la cendre et c’est à peine si tu remarqueras que tu as marché sur quelque chose.”
W. G. Sebald, Séjours à la campagne
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