jeudi 22 août 2013
La réputation d’un homme singulier
À MADAME AUPICK
[Paris,] 21 juin 1861.
Ma chère Maman,
En t’annonçant hier ma première cargaison, j’ai oublié de répondre à ton excellente lettre, la dernière, si excellente à la fois et si risible. Il n’y a que les mamans qui aient le privilège singulier de faire rire même en inspirant le respect et la reconnaissance.
Je veux parler de la lettre où tu m’expliques qu’il ne faut jamais renvoyer au lendemain la chose pressée et que toute exactitude trouve sa récompense. Ce qui me touche, c’est ta sollicitude. Ce qui me fait rire, c’est que tu m’enseignes ce que je sais. Je passe ma vie à me faire des sermons sublimes, irréfutables, qui ne m’ont jamais guéri. — Je suis et j’ai toujours été à la fois raisonnable et vicieux. — Hélas ! il me manque peut-être les coups de fouet qu’on distribue aux enfants et aux esclaves.
Presque toutes mes affaires sont finies ; je m’acharne encore sur deux ou trois choses.
En envisageant tranquillement ma situation, rien n’est perdu. Je puis devenir grand ; mais je puis me perdre, et ne laisser que la réputation d’un homme singulier.
Tout dépend de l’habitude.
Nous causerons longuement.
Je t’embrasse, et je te remercie profondément de cette chaleur de cœur que tu mets à mon service, et que certainement, je n’ai jamais éprouvée pour les gens qui la méritaient le mieux.
Je t’écris dans un de ces moments sérieux où je me confesse moi-même.
C. B.
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