jeudi 17 juillet 2014

La tentation de la lumière




[Beckett à Mary Manning Howe, le 30 août 1937] 

Je ne fais rien, avec aussi peu de honte que de satisfaction. C’est l’état qui me convient le mieux. J’écris un poème de temps en temps lorsqu’il est là, c’est la seule chose qui vaille la peine d’être faite. Il y a une extase de l’accidia [paresse en italien] — sans volonté dans un tumulte gris d’idées obscures. Cela met fin à la tentation de la lumière, à ses brûlures & consolations polies. C’est bon pour les enfants et les insectes. Cela met fin au besoin de prendre une décision, comme on prend une livre de thé, de découper la conscience en opinions comme le beurre en mottes. La véritable conscience, c’est le chaos, une commotion mentale grise, sans prémisses ni conclusions ni problèmes ni solutions ni procès ni jugements. Je reste allongé pendant des jours sur le sol, ou dans les bois, accompagné & non accompagné, dans une coanesthésie mentale, une plénitude d’autoesthésie mentale qui est totalement inutile. La monade sans le conflit, sans lumière et sans obscurité. Avant je faisais semblant de travailler, plus maintenant. Je creusais çà et là dans le sable mental pour chercher les vers de sable des inclinations & des aversions, plus maintenant. Les vers de sable de l’intellect.

Ne m’envie pas, ne me plains pas.

[…]
Beaucoup de douleurs valent mieux qu’une seule.




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