Tour
à tour compatissant, hilare et consterné, j’ai lu hier un livre curieux : “Confessions
d’un inverti-né suivies de Confidences et aveux d’un Parisien” (Corti, 2007).
Les Confessions furent d’abord une longue lettre écrite en 1889 et adressée à
Émile Zola, son auteur espérant que le célèbre romancier utiliserait ce
document humain pour construire un personnage ; son espoir fut déçu. Zola se borna à communiquer la lettre au professeur Saint-Paul, qui la publia en 1895 dans une Revue
d’anthropologie. L’inverti-né en question, un jeune homme (il a vingt-trois ans
quand il prend la plume) de la haute-bourgeoise romaine, malgré la honte et le
dégoût qu’il professe en façade pour ses tendances infâmes, laisse souvent
éclater son bonheur et sa joie en se penchant sur les souvenirs de sa vie
sexuelle, ce qui est plutôt rafraîchissant. Il écrit en français, mais le
docteur Saint-Paul, qui en outre prend prudemment un pseudonyme (Dr Laupst)
pour faire paraître le fruit de ses élucubrations sur ce qu’on n’appelle pas
encore l’homosexualité mais l’uranisme, l’unisexualité ou l’inversion, traduit
en latin les passages les plus chauds, les tribunaux ne sont pas loin. Ainsi le
premier handjob de notre pervers italien, à l’âge de treize ans, avec un
domestique :
Poussé par je ne
sais quelle force, quelle passion innée, je pris le sexe de la main droite et
le frottai vivement en disant : “Qu’il est beau ! Qu’il est beau !” [“Quam pulchrum est ! Quam pulchrum est !”] Je
brûlais du désir furieux de faire quelque chose de ce sexe qui emplissait toute
ma main droite, et je désirais avec ardeur qu’il y eût dans mon corps un trou
par lequel pût être introduit en moi ce que je désirais si puissamment.
Ah,
la grâce de ces subjonctifs… Ce trou magique, l’inverti-né mais pas bien
imaginatif mettra dix ans à le trouver (quelle ivresse alors). Les commentaires
sévères du Dr Laupst et la lettre-préface de Zola (n’imaginez pas qu’il dise
autre chose que les pédérastes sont des misérables, et leurs amours abominables),
que le livre reproduit, forment un affligeant cordon sanitaire autour de ces réminiscences
souvent enflammées et involontairement cocasses. Les Confidences qui suivent
sont plus anciennes et plus tristes ; elles furent remises “en 1874 à la maison
d’arrêt d’Angers, à l’occasion d’un examen, par un détenu âgé de 34 ans, Arthur
W…”, au docteur Henri Legludic, et ce dernier en inséra de larges extraits dans
son ouvrage Attentats aux mœurs. Notes et observations de médecine légale, en
1896. Arthur W…, sous le nom de La Comtesse, avait fait ses débuts de travesti
et de chanteuse de cabaret au milieu des années 50, alors âgé de quinze ans à peine, et brosse, dans
une langue surannée, un touchant tableau de la vie des Tantes parisiennes, des Tapettes
et des Complaisants, comme on les appelait, et aussi de leurs “protecteurs”
(dits “amants de cœur” ou “Garçons”), car la comtesse se prostituait ;
puis des mœurs carcérales, à la “maison d’arrêt, de force et de correction” de
Poissy ou à la prison centrale de Fontevrault (celle-là même que chantera Genet
près de quatre-vingts ans plus tard). Le texte est enrichi de maladroits
dessins de la main de l’auteur.
Deux tapettes se
rencontrent sur le boulevard ; le signe de ralliement est exécuté, presque
imperceptible pour les ignorants ; il consiste à porter la main à la hauteur du
col en joignant le doigt médius au pouce et en faisant avec cette main le geste
que j’ai reproduit dans le portrait de la Belge
(Fig. 15).
Ces "folles d'antan" n'étaient, aux yeux des autorités (intellectuelles ou autres) que des "folles à lier". La littérature, jusqu'à Genêt, est, me semble-t-il, plutôt pauvre en personnages de "tapettes" ou de "tantes".
RépondreSupprimerPS : je ne peux pas signer ce commentaire autrement que sous anonymat, la croix ne marche pas non plus.
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SupprimerÇa marche pour moi...