John Cage, Souvenir (1984)
Gary Verkade, organ of Gammelstad Church
“Quelque chose me submergea alors que j'avançais dans la librairie avec Leila vers la sous-section de la littérature appelée "Classiques". C'était peut-être le souvenir de toutes les libraires et bibliothèques de ma vie. Une sensation de quasi-vertige fit non pas tant tourner la boutique autour de moi que tournoyer mon esprit dans ma tête, formant un petit tourbillon de livres, au centre duquel je distinguai, comme dans une vision, un minuscule point de clarté absolue.
Si Dieu devait se révéler maintenant et avec lui une poignée de vérités incontestables, presque tous ces livres disparaîtraient.
La section "Philosophie" disparaîtrait.
Tous les livres de la section "Religion" seraient retirés des étagères.
Adieu, la physique et l'astrophysique. Adieu les sciences et la section "Sciences". Une poignée de vérités venant de Dieu rendrait tous les livres jamais écrits sur les sciences totalement superflus.
La section "Voyages" resterait.
Les grands livres, les grands livres traitant des grandes questions métaphysiques, disparaîtraient parce que ces grandes questions n'existeraient plus.
Il n'y aurait plus aucun rôle pour l'humanité et la civilisation, si la vérité venait à être révélée. Comme si l'humanité était une sorte de réponse biologique à l'absence de vérité.
Si j'étais Dieu, me dis-je, je n'aurais pas le cœur d'apparaître maintenant. Pas après que ces livres et des millions d'autres ont été écrits. Non, je n'aurais pas le cœur d'apparaître aussi tard pour dire : "Me voilà, je suis venu vous dire la vérité et rendre superflus les siècles que vous avez passés à la rechercher." Non, s'il était vraiment un dieu d'amour, Il resterait dans son coin. Il était trop tard, maintenant.
La tragédie de ce pauvre Dieu solitaire qui avait attendu trop longtemps pour apparaître m'envahit. Il était là, quelque part à la lisière d'un monde en extension permanente, s'éloignant toujours plus de nous, filant loin de nous à la vitesse de la lumière. Il était là, avec sa poignée de vérités pour toute compagnie. Et nous, nous étions là, tout en bas, essayant de deviner ce que pouvait être la vérité, tenant de répondre aux grandes questions qui nous échappaient parce que même les indices que nous avions n'étaient pas bons.
Comment expliquer l'amour que j'ai ressenti pour toute l'humanité à ce moment-là ? Ce sens d'une futilité tragique qui m'unissait à chaque être vivant par des liens plus forts que le sang et la fraternité. Et mon cœur s'élançait également vers ce Dieu solitaire, tout en haut, qui ne pouvait pas revenir régler les choses sans détruire l'homme.”
Steve Tesich, Karoo, p. 403-404.
(traduit de l'anglais par Anne Wicke, Monsieur Toussaint Louverture, 2012)
Dès lors, pour rester vivant, càd dans la joie de la recherche, il suffit de se dire que la vérité de Dieu est sans doute mensongère!
RépondreSupprimerCurieuse, après vous avoir lu, j'ai cherché sur Internet quelque chose sur cet écrivain que je ne connais pas et suis tombée sur un moment de La Grande Librairie. Naturellement, ça donne envie comme votre extrait donne envie. Sauf que je n'aime pas que l'on dise de cet écrivain, comme je l'ai entendu dans l'émission, "c'est du Philip Roth" : d'une part, c'est réducteur pour Tesich qui est Tesich, d'autre part, je ne suis pas une inconditionnelle de Philip Roth. M.F.
RépondreSupprimerQuelle idée, aussi, de regarder la "Grande" Librairie…
SupprimerCes comparaisons sont toujours stupides. J'ai achevé "Karoo" ce matin et c'est un très beau roman, pas si drôle qu'on a bien voulu le dire (euphémisme pour "triste et grave" et "totalement désespéré"…)
Sinon j'ai beaucoup aimé le premier Roth, notamment la "trilogie Zuckerman", jusqu'au "Théâtre de Sabbath" dont je garde un excellent souvenir. Mais j'avoue que ses plus récents ouvrages ne m'ont guère convaincu ("La Tâche" m'avait ennuyé et je n'ai pas fini "Un homme" malgré sa brièveté).
Mauvaise idée en effet... car je ne regarde jamais l'émission à la télévision. Merci pour vos précisions. "La Tache" est en effet ce que j'ai lu en premier de P. Roth et le livre m'a ennuyée tout comme vous. M.F.
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