lundi 1 septembre 2014
Importer ce rien de trop
"[...] Pas fait de poésie pour n’avoir pas à la porter, valise trop lourde, préféré juste un bagage à main plus maniable pour passer deux trois trucs en douce à la douane, rien à déclarer, contrebande ma foi pourquoi pas. Déjà que le roman pèse, alors imaginez la poésie. Camouflé l’idée de composer quand même avec elle, l’air de rien, de ne pas y toucher, considérant qu’elle fait partie du kit — supplément d’outillage, supplément d’armes, self-service. Tâcher de suivre le tranchant de ce rasoir, et que ça coupe et que ça saute, scie sauteuse sur la ligne blanche.
Alors quoi : mètre, césure, boiterie, rétablissement, rejet, ce que produisent sept ou quinze syllabes, le geste en suspens, l’ombre des forêts ? Clarinette basse et jus de raisin ? Je prends.
Hypothèse-gueule de bois 1 :
- qu’un principe (ou qu’un but) de la poésie (si tout va bien) serait : rien de trop ;
- qu’on pourrait importer ce rien de trop dans le roman bien qu’il soit, consubstantiellement : trop.
(Mais peut-être ferait-on pousser aussi l’hypothèse inverse.)
Hypothèse-gueule de bois 2 :
Poésie contrebasse du roman. Certains croient mal percevoir la contrebasse dans l’orchestre. Mais retranchons-la : tout s’effondre.
(Je n’ai pas fait non plus contrebassiste.) […]"
Jean Echenoz, Pourquoi j’ai pas fait poète
(Revue de Littérature Générale, 1995)
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